Lumière 14
D’un claquement de doigts, Gabriel alluma un feu ronflant dans l’âtre de la chambre alors que Raphaël déposait une Junai secouée de tremblements sur son lit. Mais à peine l’eut-il lâchée que son frère ainé le repoussa en arrière.
- Laisse-moi, dit-il d’une voix presque gutturale.
- Gab…
- Dehors !
Le plus jeune fronça les sourcils, regardant son frère rabattre les draps sur le Gardien et ajouter une couverture, puis il soupira et sortit. Il refermait doucement la porte lorsque Enosh apparut un peu plus loin dans le couloir et accourut vers lui.
- Junai ?, se contenta-t-il de demander, oubliant le protocole.
- Nous l’avons récupérée.
Le Gardien avança la main vers la poignée de la porte, mais Raphaël le stoppa d’un regard.
- … Archange… ?
- Gabriel est avec elle.
- Mais…
- Tu la verras plus tard.
- … Il y a un problème ? … Où est-ce qu’elle était ?
L’Archange serra les dents et siffla :
- Adam… l’a appelée…
- Comment... ? Elle était sortie ?!
- Non. Il l’a eue ici.
Le regard glacé se braqua sur une des hautes fenêtre qui s’ouvraient le long du couloir. Le verre se fissura. Enosh déglutit, la colère de son supérieur étant clairement palpable.
- Fais savoir à Gabriel que je me suis retiré quand tu pourras, murmura-t-il.
Le Gardien inclina la tête et lorsqu’il se redressa, le jeune homme aux dreadlocks avait disparu. Il soupira et se tourna vers la chambre.
Il n’aimait pas cette situation.
Une voix chuchotant, lointaine comme dans un écho, le fit sursauter.
- Les choses sont en train de changer.
Raël atterrit légèrement à côté de lui, se matérialisant du vide. Sa peau diaphane et ses cheveux blancs luisaient dans la lumière de la lune, rendant sa présence encore plus irréelle. Enosh fronça les sourcils.
- Qu’est-ce que tu veux dire ?
Un pâle sourire étira les lèvres de son frère.
- Notre sœur a changé.
Son visage aux yeux clos se tourna à son tour vers la porte de la chambre.
- Et les Archanges commencent à le ressentir, au fond de leur cœur.
Sa voix douce énonçant lentement ce qui lui paraissait une évidence fit défaillir la respiration de l’autre Gardien.
- Comment pourrais-tu le savoir ?
Raël pivota vers lui, comme s’il le regardait à travers ses paupières baissées, mais il ne répondit pas.
- C’est un Gardien !, fit Enosh d’une voix de laquelle il ne parvenait à masquer l’angoisse, Elle ne peut faillir !
- Ai-je dit cela ?
- Tu parles par énigmes, Raël, c’est ce qui est le plus agaçant chez toi…
La voix traînante de Melahel la précéda à leurs côtés.
- Et si elle venait à déchoir, que pourrais-tu bien y faire, Enosh ?, murmura-t-elle en posant une main sur l’épais bois de la porte.
Les traits de l’intéressé se durcirent.
- Ta moitié n’est pas avec toi ?, gronda-t-il.
- Pourquoi donc Hariel aurait-elle été appelée ici ?
- Pourquoi toi, t’es là ?
- L’excursion de Junai est considérée comme punissable ?, intervint Raël.
La blonde sourit en leur faisant face, silencieuse.
- Quoi ?!, s’indigna Enosh, Impossible ! Elle a été appelée !
- Ah ?, fit la jeune femme, Et n’aurait-elle pas pu y résister… ?
Son ton amusé fit fulminer Enosh.
- Tu plaisantes ?! T’as idée de son état ?
- Je rejoins l’avis de notre frère, acquiesça Raël, Junai peut être, à cette heure, catégorisée mortelle. Et tu ne peux punir les mortels.
- Mais que fais-je ici, alors ?
Enosh allait répliquer, mais se retint, une présence s’imposant au bout du couloir. Attirant réellement, lui, les rayons de la lune, Mickaël s’avança jusqu’à eux. Il ne leur accorda qu’un bref regard et déclara :
- Tu peux te retirer, Melahel. À moins que tu ne sois ici pour t’assurer de la santé de ta sœur.
- Bien, Archange.
Il ouvrit la porte alors qu’elle s’éloignait, l’air déçue. Enosh se pencha pour tenter d’apercevoir l’intérieur, mais il ne fut gratifié que d’un regard de reproche de l’Archange. Il soupira en se redressant et ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais s’interrompit aussitôt. Raël avait également déserté les lieux.