Lumière 7

Publié le par Robyne



Junai avait marché une heure. La fraîcheur hivernale se faisait de plus en plus sentir et elle frissonna en regrettant l’écharpe qu’elle avait laissé chez elle. Elle se posa sur un banc et se laissa tomber contre le dur bois du dossier en soupirant. Quelques promeneurs profitaient du soleil encore persistant, bien que n’assurant plus vraiment sa fonction chauffante.
C’était sa manière de se calmer et de se rappeler où était sa place.
La discipline des anges était implacable, aucune protestation et encore moins de rébellion n’était admise. Les punitions qui découlaient des écarts étaient terribles. C’était le plus grand principe de la Lumière : comment protéger le bien et la justice en permettant à ses agents d’enfreindre les règles sans conséquences ? Junai n’en avait encore jamais fait les frais. Mais ce n’était pas le cas de Enosh, qui avait connu quelques difficultés à plier son caractère de feu à la volonté des Archanges.
Car si on ne choisit pas de devenir un lumineux, on ne peut pas non plus le refuser. Si un ange vient vous chercher, seules deux voies vous sont ouvertes : partir avec lui ou mourir. Ce choix vous est imposé tout en sachant que si vous décidez de suivre un ange, la vie que vous aurez sauvée ne vous appartiendra plus et sera l’outil d’une autorité que vous ne connaitrez même pas et dont les desseins ne seront pas jugés utiles à votre connaissance. Bien sûr, au moment de l’offre, il semble bien plus tentant de devenir un lumineux. Mais si les forces de la Lumière ne sont pas si nombreuses qu’on pourrait le croire, c’est parce que beaucoup de ceux qui avaient souhaité vivre malgré tout se rendent très vite compte que la seconde vie qu’on leur a offert est bien moins agréable que ce qu’ils s’imaginaient. Aussi, beaucoup de Novices rejoignent les limbes, avant même d’être devenus anges du rang.
Junai avait su tout cela lorsque Gabriel était venu la chercher et elle l’avait accepté. Malgré tout, elle sentait de plus en plus les cordes qui l’entravaient et un sentiment de révolte résonnait en elle. Le jour où sa famille avait été assassinée, sa vie avait totalement basculée. Elle aurait dû mourir, mais était devenue un soldat, bien vivant, et pour rien au monde elle n’aurait pu abandonner tout ce que ce statut lui avait apporté.
Ne serait-ce que pour continuer à regarder ces gens. Les anges ont une sensibilité exacerbée aux émotions des mortels. La jeune fille n’avait qu’à poser les yeux sur les promeneurs pour ressentir leur peine, leur joie, leur mélancolie ou leur colère. Une palette de sentiments bon ou mauvais qui s’insinuaient en elle comme des décharges. Cette empathie rendait les plus faibles fous. Et certains devenaient…
- Tu vas devenir dépendante…
Junai sursauta et se retourna. Alors elle se tendit et concentra son énergie dans ses doigts.
- … « Amour »…
Adam la regardait avec un sourire amusé, à quelques pas d’elle. La brunette ne l’avait pas senti venir.
- Tu te balades en plein jour ?, fit-elle.
- Le jour décline rapidement, répondit-il simplement.
Il s’avança vers elle et elle bondit sur ses pieds. Le sourire du Vampire s’agrandit.
- Allons, « Amour », ne sois pas si méfiante. Me crois-tu donc capable de t’attaquer devant tous ces mortels… ?
N’attendant pas sa réponse, il vint s’asseoir nonchalamment sur le banc et désigna la place vide à côté de lui.
- Tu n’as pas peur de moi, tout de même ?
Junai le défia du regard et se rassit. Adam tira un paquet de cigarettes de la poche intérieur de sa veste et en saisit une entre ses lèvres avant de tendre le paquet à la jeune fille, qui hocha la tête en signe de négation. Il haussa les épaules, rangea son paquet et alluma son bâton de nicotine. L’ange, chaque muscle du corps tendu, prête à se défendre, et le Vampire, affalé contre le dossier, regardant les gens défiler devant lui d’un œil attentionné, restèrent silencieux un long moment.
- Qu’est-ce que tu fais ici ?, finit par demander Junai.
- Je discute avec toi.
Elle lui lança un regard perplexe.
- Parce que griller ta clope en te demandant lequel de ces mortels te servira de repas cette nuit, tu appelles ça une discussion ?
Le sourire amusé du jeune homme réapparut.
- Tu connais bien les Vampires.
- Je connais mon boulot.
- C’est Gabriel qui t’a appris ?
Elle se tendit subitement, lui jetant un regard noir, et il éclata de rire.
- Détends-toi, « Amour », je plaisante.
- Ne m’appelle pas comme ça…, siffla l’ange.
- Pourquoi ? C’est mignon. Et puis, c’est pas commun de s’appeler « Amour Pur ». Tu n’aimes pas ?
- Ne m’appelle pas comme ça, c’est tout.
- Très bien, rit-il d’un air narquois.
Il écrasa sa cigarette par terre et se tourna vers elle en appuyant son coude sur le dossier du banc.
- Tu es Gardien ?
Junai plissa les yeux.
- Qu’est-ce que ça peut te faire ?
- Mauvaise joueuse, c’est moi qui ai posé une question en premier.
- … Ça n’te regarde pas.
Il eût une moue déçue.
- Tant pis. À plus !
Il fit mine de se lever, mais la brunette le retint en demandant :
- Que faisait le prince des Vampires sur une avenue, il y a deux nuits ?
Adam se réinstalla et sourit en répliquant :
- Que faisait un Gardien sur cette même avenue ?
- Mauvais joueur, j’ai posé la question en premier.
- Alors, tu es vraiment un Gardien.
- Tu le savais déjà.
Le sourire d’Adam s’agrandit.
- Bien joué.
- Tu ne réponds pas ?
- Je devrais ?
- Qu’as-tu à y perdre ?
- Tu n’as pas à répondre par des questions, c’est très malpoli, jeune fille.
- Tu as commencé.
Le Vampire lui lança un regard perçant, son sourire se faisant amusé. Cette gamine lui plaisait.
- Dommage que tu sois de la Lumière, dit-il simplement.
Junai réagit aussi violemment que s’il l’avait insultée.
- La ferme !
Elle se leva et forma une boule de lumière dans sa main droite. Adam ne bougea pas d’un cil, mais perdit son sourire et son regard se durcit.
- Trop de témoins, Junai, tu compromets ton titre.
La jeune fille sursauta, puis, au prix d’un intense effort, parvint à calmer son souffle court et la boule de lumière disparut.
- Tu n’es qu’une enfant, poursuivit Adam en se levant, Je me demande bien pourquoi Gabriel t’a éveillée en tant que Gardien.
Il plongea son regard dans le sien et ajouta avec un sourire narquois :
- Ou plutôt, je ne vois plus qu’une seule raison…
- Laquelle ?, siffla l’ange.
Mais le jeune homme se détourna d’elle.
- Laquelle, Adam ?
Avec un petit rire, il commença à s’éloigner alors qu’elle lançait dans son dos :
- Réponds-moi ! Laquelle ?!
Mais son cri ne fit que lui attirer les regards curieux des passants. Le prince des Vampires, aussi fugitif qu’une ombre, avait déjà disparu.

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M
c'est vrai qu'il n'y avait pas beaucoup de réponses dans ce dialogue...<br /> alors, pourquoi l'a-t'il prise ? Est-ce en rapport avec Michelle ?
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R
<br /> Mêmes réponses que Adam, na !<br /> <br /> <br />